Disparition des CHSCT : la Cgt du BTP alerte sur les conséquences dramatiques pour les métiers dangereux

Serge Pléchot, secrétaire général de la fédération nationale des salariés de la construction, bois et ameublement (FNSCBA) de la Cgt, s’inquiète des répercussions du projet gouvernemental sur les accidents du travail

 

 

Avec la fusion des instances représentatives des personnels (IRP) [1], et la forte réduction du nombre d’élus qui l’accompagnera, le gouvernement s’attaque à un dispositif essentiel de la protection des travailleurs. Rappelons que les IRP ont été instituées afin de défendre les intérêts des salariés dans l’entreprise et que leur fonction est inscrite dans le marbre de la Constitution : celle-ci indique notamment que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ». Dotés d’un mandat d’ordre public, les élus du personnel jouent ainsi un rôle clé de contre-pouvoir face à la toute puissance patronale, en veillant en particulier à ce que ces derniers respectent leurs obligations légales.

 

 

Le présent projet de réforme est d’autant plus dangereux qu’il banalise les missions du CHSCT, instance spécialisée sur les conditions de travail, la sécurité et la santé des salariés. Bref de tenter tant faire ce peut de sauver des vies ! Aucun gouvernement ne s’était risqué sur ce terrain jusqu’à présent. La loi Rebsamen de 2015 avait certes prévu la possibilité de regrouper les IRP, mais chacune gardait l’intégralité de ses prérogatives et moyens de fonctionnement : il ne s’agissait en aucun cas d’une fusion. De plus, le regroupement n’était pas obligatoire, les acteurs sociaux pouvant continuer à fonctionner en instances séparées et à conserver un CHSCT.

 

 

Cette banalisation du CHSCT serait extrêmement dommageable, voire dramatique pour les entreprises confrontées chroniquement à des risques graves. Les élus du CHSCT se sont en effet progressivement imposés comme un maillon essentiel de la lutte contre les accidents du travail. Ses membres se sont familiarisés avec les problématiques de santé au travail ; ils se sont appropriés les connaissances et les outils nécessaires, ont appris à fonctionner en réseau pour échanger leurs expériences, dans l’objectif d’élaborer des propositions en tenant compte principalement des avis des personnels en situation de danger grave et imminent. Remettre en cause l’autonomie et la spécialisation du CHSCT revient à détruire ces acquis, en obligeant les élus du personnel à devenir des généralistes. La réflexion collective nécessaire dans l’étude de solutions afin d’éviter les drames se feront entre une décision budgétaire de billetterie et le choix du restaurateur pour le repas de fin d’année ! Une aberration assassine !

 

 

La nouvelle instance fusionnée voulue par le président Macron met donc à mal un dispositif essentiel pour la prévention des risques dans l’entreprise, ce qui interpelle tout spécialement les travailleurs du BTP, secteur qui a le triste privilège d’être encore plus accidentogène que les autres. Les métiers de la construction se caractérisent effectivement par des risques professionnels multiples, dû notamment aux travaux en hauteur, aux manutentions de charges lourdes, aux problématiques de coordination (interférence de plusieurs intervenants sur les chantiers), à l’exposition aux intempéries (froid, sols glissants, canicule, etc.) et aux multiples expositions des différents produits chimiques, anciens comme nouveaux, donc inconnus pour ces derniers.

 

 

Ces particularités se reflètent dans les statistiques de l’Assurance maladie/risques professionnels :

Alors que le BTP ne représente que 8 % des salariés du régime général, il enregistre 15 % des accidents du travail avec arrêt.

Il détient un taux de gravité des accidents (mesuré à partir du nombre de journées perdues) deux fois plus élevé que la moyenne nationale.

Il concentre par ailleurs à lui seul un quart des décès par accidents de travail et on y dénombre, tout risque confondu, un accident mortel par jour travaillé.

 

 

Sans omettre, la prise en compte effective de plus en plus grande par cette instance, des contradictions d’ordre environnemental en lien avec nos activités industrielles. La multitude des solutions apportées dans la réalisation d’ouvrages ou de process de fabrication avec un impact écologique moindre, vaut bien plus que toutes les COP réunies qui ne se limitent qu’à déplacer des virgules sur des textes initiaux jamais respectés. Les CHSCT en ce domaine sont loin d’avoir tout réglés, néanmoins la conscientisation est présente et massive. Seule cette majorité élue par une minorité de français, au demeurant pas forcément convaincue,  persiste à ignorer l’évidence.

 

 

 

Le gouvernement aura donc décidément bien des difficultés à nous convaincre que la lutte contre le chômage passe par la diminution du niveau d’influence et de l’envergure des CHSCT dans nos professions. Quoique, plus de morts serait égal à moins de chômeurs ?  Cette mesure ne répond en rien à l’intérêt général et est combattue sans exception par tous les syndicats de salariés. Elle reflète une méconnaissance inquiétante du terrain, qui va jusqu’à ignorer que de nombreux patrons sont attachés à ce comité. Il est savoureux d’observer que le 13 juin dernier, pour leur première visite d’entreprise, Muriel Pénicaud et Edouard Philippe se sont vus confrontés à une direction qui leur a expliqué pourquoi elle ne souhaitait pas une fusion des instances[2] !

 

 

L’élimination du CHSCT répond donc uniquement aux vœux de la fraction la plus archaïque et la plus rétrograde du Medef, celle pour qui le dialogue social n’est qu’une « charge » qu’il convient de réduire. Quel qu’en soit le coût du sang versé. Il s’agit bien d’une « élimination intellectuelle du CHSCT », puisque les acteurs sociaux ne disposeront pas de la moindre marge de manœuvre, des instances séparées ne pouvant être maintenues (sauf à perdre leur personnalité morale). L’objectif de cette disposition est peu louable : elle vise à protéger les employeurs peu scrupuleux qui opteraient pour des IRP fusionnées, alors même qu’ils opèrent sur des métiers dangereux imposant logiquement la préservation d’un CHSCT. À partir du moment où la loi ne leur laisse pas le choix, un juge ne pourra pas leur reprocher d’avoir négligé leurs obligations de sécurité en fusionnant leurs IRP. « La mort est donc autorisée ! »

 

 

Il serait grand temps que les députés de la majorité présidentielle se souviennent que leur programme électoral pour la santé annonçait comme premier objectif de « conduire la révolution de la prévention » et précisait : « demain, nous investirons davantage pour prévenir plutôt que guérir ». Les intentions du gouvernement correspondent rigoureusement à une politique inverse à ces promesses électorales. À la disparition de l’outil de prévention que représente le CHSCT, s’ajoute l’annonce récente du renoncement à une véritable politique de prévention pour 4 facteurs de pénibilité (manutention de charges, postures, vibrations, risques chimiques). Là encore, les travailleurs du BTP sont massivement concernés.

 

 

Le pouvoir en place compte faire passer en force, et dans la précipitation, sa réforme rétrograde du Code du travail. On le comprend : il a tout intérêt à contourner le débat démocratique, via les ordonnances, car son projet sonne le glas de l’image pseudo-moderniste et du mythe « ni droite ni gauche » sur lesquels il a fondé son élection. Non seulement sa réforme des IRP n’a rien de gauche, mais elle relève d’une vision sociale des plus rétrogrades, une vision dans laquelle les salariés du BTP ne comptent pas… et sont « des gens qui ne sont rien ». Après la décision de paupériser le peuple, faisant suite à la crise des « subprimes », cette orientation poursuit à « caster » la « France d’en bas » comme quantité négligeable, corvéable et pouvant être sacrifiée sur l’autel du bien commun, voir de l’emploi…

 

 

Le Président Macron sous-estime visiblement la capacité de riposte des salariés. La journée d’action et de grève du 12 septembre sera une formidable occasion de lui faire comprendre que le débat relatif au projet de fusion des IRP ne restera pas cantonné à un cercle restreint d’experts ou de juristes. Les salariés sont attachés à leur représentants dont ils observent régulièrement l’action sur le terrain : interventions lors des plans de licenciement, assistance aux salariés menacés de sanctions, lutte contre les discriminations, mise en évidence des situations de harcèlement, enquêtes après accidents du travail, recommandations pour réduire les risques psychosociaux, etc. N’oublions pas par ailleurs que le nombre de représentants du personnel – par définition directement touchés par la réforme – avoisine 800 000 titulaires, ce qui représente une énorme caisse de résonnance pour mobiliser contre le projet !

 

 

 

[1] Les IRP comprennent les délégués du personnel (instaurés en 1936), le comité d’entreprise (1945) et le Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT / loi Auroux de 1982).

[2] La direction de Telma (PME de 250 personnes, leader mondial du freinage sans friction) a notamment déclaré : « Nous perdrions la dynamique que nous avons réussi à créer avec les réunions mensuelles du CE et les réunions trimestrielles du CHSCT. Pendant ces réunions, nous parlons beaucoup du travail avec les opérateurs, car nous sommes dans un univers industriel où la sécurité est très importante ».