Le goudron, un nouvel amiante ?

SANTÉ Tenace, la CGT a obtenu que soit reconnu le risque sanitaire auquel sont exposés les travailleurs du bitume. La bataille continue.

 

Aujourd’hui, plus personne ne peut nier que les salariés qui travaillent sur les réseaux routiers ne sont pas exposés à des produits à risque et notamment l’amiante. » À l’issue d’une réunion avec la direction générale du travail – à laquelle participaient plusieurs ministères, syndicats et les employeurs de l’industrie routière –, la CGT est plutôt satisfaite. Depuis quelques années maintenant, plusieurs fédérations de la centrale syndicale (transports, construction, équipement et services publics) se battent pour faire reconnaître le risque sanitaire auquel sont confrontés les travailleurs du bitume. « Nombre de salariés ont payé de leur vie l’utilisation de certains produits introduits dans les enrobés sans connaissance de cause. Aujourd’hui, plusieurs rapports soulignent enfin les responsabilités des maîtres d’ouvrage et les dispositions à prendre lors des opérations surles enrobés », rappelle Pascal Sancéré, de la fédération CGT de l’équipement.

 

Entre 1970 et 1995, l’amiante a en effet été utilisé pour ses propriétés de résistance à l’usure dans les enrobés bitumeux, en particulier pour la construction d’autoroutes, de parkings, etc. Mais il aura fallu attendre mai 2013 pour quele ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie reconnaisse la présence d’amiante dans les couches d’enrobés routiers. « Jusqu’à la moitié des années 1990, certaines couches de roulement ont été réalisées avec des enrobés pouvant contenir de l’amiante autour de 1 % de la masse totale et généralement duchrysotile », révèle la circulaire, application d’un décret ministériel de 2012.

 

Cependant, si l’amiante n’a plus été utilisé dans la fabrication du bitume en 1995, elle n’a pas pour autant disparu des routes. Car lorsqu’on refait une route, les déchets d’enrobés (qu’on appelle des fraisats), et qui sont susceptibles de contenir de l’amiante, sont recyclés dans d’autres couches de chaussée. Selon la circulaire de mai 2012, des sondages (carottages en termes techniques) doivent être systématiquement pratiqués sur les routes promises à la réfection afin de s’assurer que leur revêtement ne contienne pas d’amiante. Sauf que cette circulaire n’est que trop rarement appliquée. Sans doute pour une question de coûts. « De nombreux chantiers sont bloqués car, une foisqu’on a trouvé de l’amiante, ce n’est plus le même budget », fait valoir Pascal Sancéré, évoquant quelque 170 chantiers bloqués pour la seule région Bretagne.

 

La CGT construction, qui ne compte pas lâcher sur la question de la pénibilité

 

Si le lien est enfin établi, ce n’est pas suffisant pour le syndicat. « Nousn’avons toujours pas de visite médicale de suivi. Rien non plus concernant la reconnaissance des maladies professionnelles des fonctionnaires », déplore le syndicaliste, alors qu’en février dernier Jean-Marc Ayrault, encore premier ministre, s’était engagé à étendre l’allocation amiante aux agents publics ayant développé une maladie professionnelle reconnue en lien avec l’amiante, comme c’est déjà le cas pour les salariés du privé. « Nous allons rappeler cet engagement à Manuel Valls », insiste le militant.

 

Si les salariés du privé ont, sur le principe, accès à des départs anticipés, ceux travaillant sur les réseaux routiers n’en ont jamais vu la couleur à ce jour. « Le lien entre travail et pathologie n’est pas fait », déplore Laurent Orlich, de la CGT construction, qui ne compte pas lâcher sur la question de la pénibilité : « Aujourd’hui, on a un cocktail d’indices (silice, amiante, produits bitumeux…) suffisant pour faire reconnaître le facteur de pénibilité. »

 

CHAQUE ANNÉE, L’ENTRETIEN DES CHAUSSÉES BITUMEUSES GÉNÈRE ENVIRON DEUX MILLIONS DE TONNES DE FRAISATS D’ENROBÉS POTENTIELLEMENT AMIANTÉS.

 

L’Humanité