L’escroquerie aux travailleurs détachés finit au tribunal

Un couple vient d’écoper de six mois et un an de prison avec sursis devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand. Mais ce type de condamnations est de plus en plus rare. Explications.


Lui s’appelle Nino, elle, Eliana, tous deux sont âgés d’une trentaine d’années. Ce couple, à la tête d’une entreprise d’intérim portugaise TI-Empresa de Trabalho Temporario, a été condamné mercredi en deuxième instance devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) à des peines d’un an et de six mois de prison avec sursis pour « exécution d’un travail dissimulé ». La fin d’un périple judiciaire d’un an qui vient clore cette affaire dont les faits remontent à cinq ans.

 

C’est en 2013 que Nino F., 37 ans, avait commencé à recruter, avec l’aide de sa femme, des dizaines de salariés portugais. Des travailleurs détachés qu’ils envoyaient ensuite sur des chantiers, collaborant pour une trentaine de PME de la région, mais aussi deux filiales locales de multinationales du BTP, Bouygues et Spie Batignolles. Le tout en se soustrayant ouvertement à toutes les règles fiscales et sociales françaises.

 

« C’était un petit réseau très organisé, un exemple bien ficelé de travail dissimulé qui fonctionnait de manière triangulaire », résume Me Clémence Marcelot, l’avocate des parties civiles. Au Portugal s’opérait le recrutement de ces hommes. En France, cette « société boîte aux lettres » dispatchait la main-d’œuvre détachée très bon marché vers les employeurs du secteur. La société aurait réalisé, en l’espace de deux ans, un chiffre d’affaires de près de 5 millions d’euros (M€). Quant au montant des cotisations non versées à l’Urssaf, il a été estimé à 2 M€.
Des fraudes de plus en plus complexes

 

Le statut de travailleur détaché, régi par une directive européenne de 1996 révisée il y a un an sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, permet à un employé travaillant dans un Etat membre de l’Union européenne d’aller travailler dans un autre Etat membre. Il est payé dans son pays d’accueil et continue à cotiser dans son pays d’origine.

 

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Mais ce phénomène est entaché de multiples fraudes, comme celle de la société portugaise condamnée cette semaine à Clermont-Ferrand. « C’est un cas emblématique, se félicitent en chœur Gilles Chatras, le président de la Capeb (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment) du Puy-de-Dôme, et René De Froment, de la CGT-Construction, tous deux parties civiles dans cette affaire. Ce type d’agissements est un fléau à la fois pour les salariés, qui sont réduits à l’esclavage, et pour les artisans professionnels, qui, eux, payent leurs charges et contre lesquels sévit une concurrence déloyale. »

 

Reste que, dans le secteur du bâtiment, des condamnations de ce type demeurent trop rares. « A chaque affaire de travail dissimulé, nous nous portons partie civile, mais il y a un net ralentissement des affaires depuis quelques mois, remarque-t-on du côté de la Fédération française du bâtiment (FFB). Il semblerait que les contrôles soient moins nombreux sur les chantiers aujourd’hui, que la lutte perde de la vigueur », déplore-t-on. Des propos qui viennent confirmer les derniers chiffres délivrés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

 

Le volume de « cotisations et contributions sociales » réclamées aux entreprises indélicates par le réseau des Urssaf aurait baissé de 2,34 % l’an dernier. Un recul qui fait suite à plusieurs années de forte hausse et qui s’expliquerait également par la complexité croissante des fraudes. La FFB confirme : « A partir de 2010, le sujet des travailleurs détachés a été médiatisé, les contrôles se sont accrus. Mais la lutte marque le pas. »

 

Le Parisien du 20 octobre.

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