« Zéro accident » : les pieuses déclarations du BTP

Comment les politiques dites « zéro accident » des grands groupes du bâtiment et des travaux publics se traduisent-elles sur le terrain ? Ont-elles permis une amélioration de la sécurité sur les chantiers ? par MÉLANIE MERMOZ

 

Le secteur du BTP détient un triste record, celui des accidents du travail. En effet, en 2013, alors que ce secteur n’emploie que 8,5 % des salariés, il représentait 16,6 % des accidents du travail avec arrêts et plus du quart des décès (26,8 %). En 2014, 146 personnes sont mortes sur les chantiers. Depuis le début des années 2000, les grandes entreprises du BTP se sont pourtant lancées dans des campagnes « zéro accident » pour tenter de faire baisser le nombre d’accidents du travail. Dans un entretien à l’hebdomadaire spécialisé « Entreprises et carrières », Philippe Maygnon, directeur partenariat grandes entreprises à l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), nuançait l’intérêt de ce type de slogan : « Je ne suis pas sûr que fixer un objectif de zéro accident change grand-chose dans les groupes où travaillent 30 000 personnes. C’est quasi inatteignable », déclarait-il.

 
GRATIFIÉS DE « LOUIS D’OR »

 

Cette politique peut prendre la forme d’une gratification financière aux équipes qui n’ont pas eu d’accident. « Chez nous, cela s’appelle la politique du “louis d’or”. Si, pendant un an, un établissement (qui comprend environ une centaine de salariés) n’a pas eu d’accident, une prime est versée en même temps que l’intéressement », détaille Frédéric Mau, constructeur de routes et délégué syndical central chez Eurovia Bretagne. « Le salarié qui a un accident du travail ne subit alors pas seulement la pression de son chef pour ne pas le déclarer, il n’a pas envie de faire perdre de l’argent à ses collègues », poursuit-il. Même si les directions s’en défendent, les slogans « zéro accident » résonnent plutôt comme « zéro accident déclaré ».
MÊME SI LES DIRECTIONS S’EN DÉFENDENT, CE SLOGAN RÉSONNE PLUTÔT COMME « ZÉRO ACCIDENT DÉCLARÉ » !

 

Les entreprises devant payer une surcotisation à la caisse accident du travail de la Sécurité sociale en fonction du nombre de déclarations, la tentation peut être forte d’inciter les salariés à ne pas les effectuer. « Des chefs de chantier emmènent le salarié chez le médecin dans leur véhicule.

Un salarié qui se fait mal au dos en soulevant une charge lourde se voit proposer de rester quelques jours chez lui en étant payé », dénonce Laurent Orlich, membre du bureau de la Fédération CGT construction, bois et ameublement. « Un collègue qui s’était cassé le pouce au travail n’a pas été arrêté, on lui a proposé de venir sur le chantier pour, avec un talkie-walkie, guider des engins », complète Hassane El Badaoui, délégué syndical central à Spie-Batignolles Sud-Est. Pour Laurent Orlich : « Il est néanmoins indéniable que la sécurité au travail s’est améliorée dans les grands groupes au cours des vingt dernières années. » Les tâches dangereuses sont toutefois de moins en moins réalisées par ceux-ci et largement sous-traitées. Des travailleurs détachés sont présents sur de très nombreux chantiers et les pratiques de ces sociétés de soustraitance laissent largement à désirer en terme de sécurité.
QUAND L’ACCIDENT DEVIENT UNE FAUTE DU SALARIÉ

 

Dans le domaine de la sécurité au travail, les employeurs manient la carotte et le bâton. « La politique de prévention prend plutôt des allures de répression, regrette le syndicaliste CGT. Les directions maintiennent une pression sur le sujet en faisant des exemples : certains salariés ont été licenciés pour ne pas avoir porté leur équipement de sécurité. » « À chaque fois qu’un salarié a un accident du travail, il est convoqué par son responsable », renchérit Frédéric Mau. « Un collègue vient, lui, d’être convoqué pour un entretien préalable au licenciement : il lui a été reproché d’avoir eu trois accidents du travail en un an », ajoute Hassane El Badaoui. La tentation est forte d’inverser la responsabilité en matière de sécurité et de faire porter la faute aux seuls salariés. Ceux-ci disposent d’équipements de protection individuels (EPI), ils ont suivi des sensibilisations et une formation sur les bonnes pratiques en manière de sécurité, et s’ils ne les respectent pas, ce serait de leur responsabilité.

« Bien sûr qu’un ouvrier sait qu’il vaut mieux utiliser un échafaudage qu’une échelle, mais si le matin, il en a pour huit heures et demie ou neuf heures de travail, il ne prendra pas le temps d’installer l’échafaudage », souligne-t-il. Pour agir sur la sécurité, encore faut-il questionner l’organisation et surtout la charge de travail…

 

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